Faut-il accommoder la forme au fond, ou le contraire ? Insoluble question qui n'en finit pas de troubler l'esprit humain depuis la nuit des temps. Chez Lancia, la fonction a toujours précédé la forme, une préséance qui constitue l'essence même de l'entreprise turinoise et résume les audacieux « fondamentaux » définis par Vincenzo Lancia lui-même. La plupart des Lancia se révèlent « dignes de l'appellation », mais s'il en est une qui symbolise peut-être mieux que tout autre les principes clefs de ce génie créateur, c'est bien la berline Aprilia. Regardez-là attentivement et vous le constaterez au premier coup d’œil. Son « droit à la différence » s'exprime avec maestria dans cette silhouette logique et fonctionnelle qui n'a cependant pas renoncé à séduire au premier degré.

Séduire, oui, bien sûr, car c'est tout de même une Lancia, et son nom se veut aussi synonyme de raffinement, d'élégance, de bon goût. On pense instinctivement à des tons gris anthracite, de bleu marine, de rouge prune pour la carrosserie, et de drap beige pour l'intérieur. De fait, les Lancia ne sont jamais aussi belles que lorsqu'elles veulent passer inaperçues. Voyez cette Aprilia. Sur le papier, ce n'est jamais qu'une « petite » berline aux dimensions ramassées, dont le moteur semble pouvoir se contenter d'une modeste cylindrée ( 1 352 cm³ ) pour faire correctement ce qu'il a à faire. Mais chez Lancia, il faut savoir lire entre les lignes, décoder les messages : la vraie beauté n'a nul besoin d'artifices.

Dans le merveilleux film d'Ettore Scola,Une journée particulière, on peut s'en convaincre en voyant évoluer Sophia Loren non maquillée ( pour une fois ), la coiffure négligée et vêtue d'une triste blouse d'intérieur. L'aspect que devait avoir une « méritante » mère de famille dans l'Italie fasciste des années 30. Et pourtant, Sophia Loren n'a sans doute jamais été plus désirable, plus féminine, plus attirante que dans ce rôle où elle incarne une femme entre deux âges qui veut se fondre dans le paysage.

L'Aprilia, c'est un peu Sophia Loren sans maquillage : sa beauté se suffit à elle-même...

Ce « petit » 4 cylindres tapi dans l'ombre paraît bien timide a priori. Sauf qu'il s'agit d'un V4 à arbre à cames en tête. En 1936, une telle architecture relevait encore de l'exception en grande série ( mais pas chez Lancia qui s'en était fait une spécialité depuis une certaine Lambda ), seuls les gros moteurs à 8, 12 et 16 cylindres pouvant y prétendre à l'époque. Développant 48 chevaux à 4 000 tr/min, ce groupe très compact en alliage léger s'accommode volontiers d'un capot court, l'habitacle profitant au mieux de cette répartition judicieuse des volumes.

Née en pleine période « aérodynamique », l'Aprilia s'inspire des formes profilées que certaines créations plus précoces ont tenté d'imposer à un public souvent perplexe.

Testée en soufflerie dans les locaux de l'Université Polytechnique de Turin, sa carrosserie affichait un Cx de 0,47 seulement, un score exceptionnel en 1936. Vincenzo Lancia avait même imaginé quelque chose de plus radical encore, à savoir une forme reprenant les contours épurés d'une goutte d'eau ( la référence absolue pour les premiers aérodynamiciens ). En fin de compte, c'est un projet plus « digérable » qui sera privilégié. Digérable mais nullement anodin. Ayant testé lui-même le prototype de l'Aprilia sur le parcours Turin-Boulogne un jour de 1936 ( la voiture sera lancée au Salon de Paris, cette même année ), Vincenzo Lancia laissera éclater sa joie à la fin du voyage. Silence, confort, habitabilité, comportement, il ne trouvera rien à redire. C'est un fait que l'Aprilia était très en avance sur la concurrence avec son « petit » V4 aussi silencieux que puissant, sa structure autoporteuse très rigide, son empattement allongé ( 2,75 m ) repoussant les roues aux extrémités, ses suspensions indépendantes d'une conception très sophistiquée ( à l'arrière, notamment ), ses freins accolés au différentiel, etc. Dans cette catégorie, rien ne pouvait lui être comparé : l'Aprilia était unique à bien des égards.

C'était en d'autres termes une petite routière de qualité qui ne voulait pas s'embarrasser de centimètres superflus ou de kilos en trop. De fait, ses dimensions hors tout la rapprochent davantage d'une Fiat 1100 que d'une traction 7 cv : moins de 4 mètres en longueur et 1,50 mètres en largeur lui suffisaient quand d'autres n'en finissaient pas d'étirer leurs ailes à l'envi. Pesant moins de 900 kilos à vide, l'Aprilia pouvait tirer le meilleur profit de son profilage et de ses presque 50 chevaux pour s'en aller provoquer les grosses cylindrées sur les premières autostrades italiennes. Dans de bonnes conditions, elle pouvait ainsi tangenter les 130 km/h, une vitesse proprement « indécente » au milieu des années 30 pour une 1 300 cm³ de production courante ? Vincenzo Lancia la jugea même « trop rapide » au début ? C'est dire...

Elle était vendue plus de 330 lires en 1937, une somme assez coquette, mais on n'avait pas affaire à une voiture « économique », après tout.

27 600 exemplaires plus tard ( un très joli score ), l'Aprilia tirait sa révérence. Nous étions alors en 1949. Les derniers clients qui passèrent commande cette année-là étaient certainement convaincus qu'elle avait encore de l'avance sur le calendrier, treize ans après ses débuts. Mais les têtes pensantes de Lancia ne pouvaient la laisser vivre plus longtemps. En vérité, l'Aprilia s'est effacée pour la bonne cause : il fallait laisser toutes ses chances à son héritière spirituelle, l'Aurelia. Vittorio Jano l'avait rêvée, Lancia l'a faite. En ce temps-là, on pouvait encore dire à Turin :Tutto e possibile...

Texte de Didier LAINÉ, extrait de la revue « Rétroviseur n° 249 » d'octobre 2009.

La miniature que je vous présente en illustration est laLancia Aprilia de 1937.

Cette semaine, vous trouverez comme « nouveauté » sur mon site de collectionneur : http:www.ma-collection-auto-1-43e.be laSimca Gordini T 15 Type 18S Sport 1500 de 1950.

Sur ce site vous pourrez également retrouver une rubrique« Index du blog »qui reprend par thèmes ou par marques, toutes les miniatures présentées sur le blog. Vous pourrez ainsi retrouver plus facilement un article qui vous intéresse.

Excellente semaine à tous.

Jacques.